Interview de Yvon PESQUEUX, CNAM, Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Systèmes d’Organisation ”

2 February 2011
Interview de Yvon PESQUEUX, CNAM, Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Systèmes d'Organisation ”

Q: Monsieur le Professeur, vous êtes professeur au Conservatoire nationaldes arts et métiers, à Paris. Tout d’abord pouvez-vous nous parler devotre parcours et de votre spécialisation en théorie des organisations ? Puis nous présenter les activités du CNAM ?

J’ai suivi un parcours classique de l’élitisme républicain à la française,
du moins tel qu’il existait en réussissant le concours de l’Ecole Normale
Supérieure, démarrant ma carrière comme chargé de mission au Ministère desfinances puis en étant successivement Professeur de gestion dans une école d’ingénieurs (ENSEA de Cergy) puis, pendant 12 ans, essentiellement Professeur de contrôle de gestion à HEC avant de rejoindre la chaire "Développement des Systèmes d’organisation au CNAM.

Cette institution avait accueilli le Professeur Lussato, mon prédécesseur, qui a été un des introducteurs de la théorie des organisations en France dès le début des années 70. Il me fallait donc faire fructifier l’héritage.

Le CNAM est une des institutions d’enseignement supérieurs issu de la Révolution Française et dévolu aux sciences neuves et nouvelles à une époque où l’enseignement ingéniérique n’existait pas.

Depuis la 2° guerre mondiale, il est dévolu à le formation continuée,
devenue depuis "formation tout au long de la vie", c’est-à-dire qu’on y
organise des enseignements des Licence et de Master en unités
capitalisables, outre le développement actuel des formations doctorales

Q : On dit souvent que l’organisation d’une entreprise est en grande partie un levier de performance de cette dernière, partagez-vous ce point de vue et si oui pourquoi ?

Je dirais plutôt que l’organisation se structure comme champ de savoir (théorique et d’action) depuis que la grande organisation est devenu un phénomène social suffisamment important pour que l’on y développe un champ de savoir.

En effet, la performance est une notion trop multiforme pour statuer aussi facilement. Ces dernières années montrent un accroissement de la performance financière mais au détriment, par exemple, des conséquences environnementales.

Q : Quelle est selon vous la structure d’organisation « modèle » du 21ème siècle et pourquoi ?

Question difficile à laquelle je répondrai que l’élément important a été le choc des technologies de l’information et de la communication. L’organisation du XXI° siècle est donc double: - des logiques organisationnelles héritières des grands principes organisationnels : des tensions entre centralisation et décentralisation, hiérarchie et autonomie, présence locale et présence globale, coordination et cohérence, - une structure "parallèle" en quelque sorte, issue de la généralisation de l’usage de ces technologies, par exemple au travers de la forme du réseau..

Q : Vous êtes membre fondateur de l’ADERSE (Association pour le développement de l’Enseignement et de la Recherche en Responsabilité Sociale de l’Entreprise). Pourquoi avez-vous créé cette association ? Pensez-vous que la Responsabilité Sociale soit aujourd’hui un sujet incontournable pour toutes entreprises ?

On revient ici à la question de la performance qui a été principalement développée autour de sa dimension financière. La responsabilité sociale de l’entreprise est une question récurrente depuis que la grande entreprise a pris une importance majeure dans la vie de nos sociétés. Ce qualificatif est significatif de la résurgence de la question à un moment où on avait eu tendance à l’oublier.

Q : Vous avez publié un article académique intitulé, « questionner l’évidence de la mondialisation ». De nombreux chercheurs/auteurs s’accordent à dire que la mondialisation est le maux de toutes les difficultés économiques que nous vivons aujourd’hui. Pouvez-vous nous précisez votre vision sur ce sujet ?

La mondialisation est un phénomène historique qui apparaît à la Renaissance, rien de nouveau à ce sujet si ce n’est la qualification qui lui est attribuée (le XX° siècle a été marque par la fin du colonialisme - autre mondialisation, deux guerres qualifiées de "mondiales", une division du monde en deux blocs après la deuxième guerre mondiale. Elle n’est donc ni bonne, ni mauvaise, elle est tout simplement. Comme phénomène historique, il est dons important d’en suivre les développements, pour le meilleur et pour le pire.

Q : Vous avez écrit de nombreux ouvrages sur le management, la théorie d’organisation etc. Qu’est-ce qui vous passionne dans l’écriture ? Quel est l’ouvrage qui vous donne le plus de satisfaction d’un point de vue personnelle ?

L’écriture scientifique est mon métier, un métier que j’ai choisi par passion et par raison. L’écriture en fait partie. Il est difficile de demander à un auteur son texte préféré. Je pense que mon ouvrage "Gouvernance et privatisation" (PUF, 2007) exprime le mieux ce que je pense.

Q : Nous vivons dans une période de grande turbulence économique, et si j’ai bien compris vous voyez « le business » comme une activité sociale parmi d’autres ? Pouvez-vous nous expliquer votre vision ?

Je reviens à l’émergence de la grande organisation comme phénomène social majeur. C’est en cela que la dimension des affaires est aujourd’hui majeure. Pensez à la notion de "société de consommation" qui marque les modes de fonctionnement des pays développés depuis 1945, des pays émergents maintenant et des pays en développement. Il existe un lien étroit entre consommation et mode de vie. C’est "le business" qui co-construit l’offre là encore pour le meilleur et pour le pire, contribuant ainsi de façon majeure à la vie en société.

Q : On dit souvent qu’en matière de Management, les grandes administrations manquent d’innovations et que malgré leurs efforts de restructurations, elles reviennent toujours à leurs stratégies initiales. Partagez-vous ce point de vue ?

Je ne le partage pas du tout. Les grandes administrations sont la
manifestation concrète de la mise en œuvre du Bien Commun. Elle sont d’abord des institutions avant d’être des organisations. Adresser le management comme issue au fonctionnement des organisations est dangereux dans son potentiel de désinstitutionalisation et donc de remise en question du Bien Commun qui se trouve ainsi traduit en biens privés. Les logiques d’administration des grandes administrations ont quelque chose à retirer de l’organisation mais pas au prix de leur existence. pensez à l’Ecole, à l’hôpital qui sont la manifestation de droits (à l’éducation, à la santé). Les managérialiser à outrance, c’est remettre en cause ces droits.

Q : Monsieur le Professeur, vous êtes un expert en management et en
théorie d’organisation. Quels sont pour vous les qualités d’un grand
leader ? Et quels sont les conseils que vous donnez vous aux leaders de demain ?

Le leader est une d’abord une notion qui recouvre aussi bien l’économique que le politique? Je ne peux donc proposer des conseils de même nature à ces deux dimensions. En tous les cas pas pour le politique qui est issu du processus démocratique. A ce titre, mes conseils (opinions) ne valent pas plis que celles de n’importe quel autre citoyen car le vote et l’engagement en sont les modes d’expression. Pour les leaders économiques, je reviens à la question de la responsabilité sociale de l’entreprise: il n’y a pas de business indépendant de la société. Les perspectives sociétales sont donc majeures.

Q : Finalement Monsieur le Professeur, De quelle façon selon vous la crise financière a-t-elle influencée les styles de management ? Quelles sont les leçons à retenir ?

Paradoxalement, même si cette crise financière marque les esprits, elle est relativement secondaire par rapport à d’autres questions telles que le réchauffement de la planète, la consommation des matières premières et agricoles dont l’augmentation du prix va tellement marquer la vie en société. Les leçons ne sont à tirer que pour autant que les composantes de cette crise financière ont des liens avec ces autres questions.

Yvon PESQUEUX, CNAM
Professeur titulaire de la Chaire “ Développement des Systèmes
d’Organisation ”
Site web : www.cnam.fr/lipsor
President elect of IFSAM (International Scholarly Associations of
Management) 2009 - 2010
Vient de paraître :
http://www.cnam.fr/lipsor/recherche/actualites/parutions2.php
- Management et qualité : une approche critique, Economica, Paris, 2008
- Filosofia E Organizaçoes, Cencage Learning, Sao Paulo, Brésil, 2008
- La « société du risque – Analyse et critique, Economica, Paris, 2009 (en
coll. Avec J. Méric & A. Solé)
- l’"école japonaise" d’organisation, Editions AFNOR, Paris, 2009 (en
coll. avec J.-P. Tyberghein) (Prix Qualité et performance 2010)
- SOCIETY AND BUSINESS REVIEW as Editor (Emerald
Publishing)www.emeraldinsight.com/sbr.htm