La formation aux métiers (restauration et conservation) du patrimoine, une première expéreince au Bénin. Par Roch Alfred KIKI (BENIN)

1 January 2013

La formation aux métiers du patrimoine est une activité passionnante et riche d’enseignements. Au Bénin, la Maison du Patrimoine et du Tourisme de la Ville de Porto-Novo, une institution décentralisée en partenariat avec la Préfecture Municipale de Fortaleza, l’Institut Fédéral Minas Gerais du campus de Ouro Preto au Brésil et la Communauté Urbaine de Lyon en France, initient un programme de formation au profit de jeunes béninois dans le domaine de la restauration afin d’exploiter plus tard ce potentiel humain lors des travaux de restauration des patrimoines bâtis des Villes du Bénin en particulier pour la restauration de l’une des anciennes maisons afro-brésiliennes retenue pour abriter le centre de formation aux métiers du patrimoine (appui à la qualification et à la requalification technique et professionnelle au Bénin dans le domaine de la restauration et de la conservation du patrimoine historique et culturel de Porto-Novo).

Le Bénin et le Brésil entretiennent des liens de relations historiques très profondes. Produits émanant de l’esclavage, les affranchis revenus aux abords des côtes du Golfe de Guinée n’ont pas pu se départir de leurs bagages culturels. Le poids de l’histoire a transcendé et la présence d’architecture de types brésiliens et autres objets sont devenus très imposants dans la ville dépositaire d’une âme. Ce potentiel qui renforce davantage la dénomination : Porto-Novo, ville muséale ou musée à ciel ouvert suscite de plus en plus la curiosité des techniciens mais aussi des profanes.

Après les phases préparatoires, la formation démarra effectivement le lundi 03 décembre à la Maison du Patrimoine et du Tourisme de la Ville de Porto-Novo, Bénin. Ainsi, nous allons au contexte qui justifie le bien fondé de ce projet de restauration et de conservation de patrimoine bâti de la ville cité-royaume.

Le contexte

Selon la tradition orale, les origines de Porto-Novo remonteraient à la fin du 17è siècle autour du mythe des trois chasseurs yoruba venus du Nigéria actuel pour créer le 1er quartier : Accron. La région de Porto-Novo est à la confluence de 02 grandes aires culturelles qui ignorent les frontières actuelles : l’aire adja et l’aire yoruba. Adja et Yoruba ont chacun un mythe d’origine, situé à Tado pour Adja (Togo) et Ilé-Ifé pour Yoruba (Nigeria). La double histoire de la fondation urbaine (version yoruba et version adja) est inscrite dans l’espace par les géosymboles majeurs de la cité que sont le temple du « monstre à neuf têtes », le temple des trois chasseurs, le palais royal…

Le peuplement de Porto-Novo est le résultat de courants migratoires venus d’est et d’ouest à différentes époques. Les premiersoccupants sont des Yoruba / Nago, venus de l’est. Puis des Adja sont arrivés, notamment vers la fin du 17e siècle, depuis l’ouest. La composante afro-brésilienne est venue s’ajouter aux deux précédentes composantes. Les premières références à Porto-Novo apparaissent vers 1730 dans les récits de voyageurs européens. Porto-Novo y est présentée comme un nouveau port où les esclaves sont acheminés. Le royaume connaît un essor grâce au développement de la traite négrière. Portugais et Brésiliens qui résident alors à Porto-Novo participent activement au commerce des esclaves.
A partir du début du 19ème siècle les révoltes de Bahia ramènent sur les côtes du golfe de Guinée un grand nombre d’esclaves affranchis ou ayant pu racheter leur liberté au Brésil. Ainsi, plusieurs milliers d’anciens esclaves reviennent et se dispersent principalement à Lagos, Porto-Novo, Ouidah et Grand-Popo. Maîtrisant bien le commerce, ils concurrencent rapidement les 1ers négociants. Les connaissances acquises par ces Afro-Brésiliens au Brésil leur permettent d’obtenir un statut social privilégié dans les comptoirs africains au détriment des notables africains et des Portugais anciennement installés. Ils maîtrisent les métiers de la construction appris au Brésil et créent de petites entreprises. La culture brésilienne introduite par les Afro-Brésiliens ne s’arrête pas à l’architecture et imprègne le style vestimentaire, la cuisine, la musique et les différents arts de vivre.
Les relations de Porto-Novo avec le Brésil et l’Europe entrainent la modification de l’organisation de la ville d’un point de vue urbanistique et architecturale. L’architecture brésilienne diffusée par les anciens esclaves revenus du Brésil et ayant reproduit certaines pratiques constructives de leurs anciens maîtres en Afrique est présente dans les comptoirs de Lomé, Grand-Popo, Ouidah, Porto-Novo et Lagos.

Les maisons afro-brésiliennes sont construites en briques de terre cuite et couvertes d’un toit en tôle à 04 pentes supporté par une charpente en bois. Les murs rectilignes, réguliers et perpendiculaires de cette architecture et l’inclinaison précise de ces toits contrastent avec les volumes massifs et ventrus des maisons en terre et toits en paille aux pentes aiguës. Il s’agit souvent de maisons à étage. A chaque niveau se trouvent plusieurs pièces accolées les unes aux autres, parfois entourées de galeries. On retrouve dans ces pièces du mobilier de tradition européenne : tables, buffets, lits et armoires réalisés sur place ou importés de France. Les façades sont crépies de couleurs vives, la décoration très développée est d’inspiration baroque. On distingue sur ces façades des colonnades souvent surmontées de chapiteaux corinthiens et de porches aux formes courbes, des moulures autour des portes et fenêtres. Certaines vérandas dans ces maisons sont closes avec des panneaux de bois. Les fenêtres sont fermées par des jalousies ouvragées. Le modèle architectural colonial français fait des emprunts au style afro-brésilien, dont la qualité de la décoration séduit quelques édiles qui font appel à certains de ces entrepreneurs pour la construction d’édifices publics.

La période de splendeur des Afro-Brésiliens qui remonte à la fin du 19e siècle, s’achève au milieu du 20e siècle lorsqu’ils sont progressivement écartés des réseaux économiques et politiques à partir des années 1930 par les colons français, libanais et yoruba. Ouidah se vide des Afro-Brésiliens ; à Porto-Novo, les maisons ne sont plus habitées que par les moins fortunés qui n’ont pas les moyens de les entretenir. Ainsi, la villa brésilienne importée qui était un signe de réussite social au début du 20e siècle devient synonyme de « vieillerie » à partir de 1960.

La désertion de ces bâtiments dès le début 20e siècle provoque la disparition du savoir-faire dans les constructions faute de commandes. Un état des lieux du patrimoine architectural de Porto-Novo réalisé par la Maison du Patrimoine et du Tourisme a relevé l’extrême fragilité des bâtiments et le désintérêt des populations qui sont plutôt portées vers les constructions plus « modernes ». De plus, les résultats issus de cet état des lieux se sont révélés inquiétants quant à la sauvegarde du patrimoine.

En effet, depuis l’inventaire réalisé en 2001-2002, l’état d’un nombre important de maisons s’est fortement dégradé avec certains irrémédiablement perdus. Le pourcentage de maisons détruites et en partie détruites s’élève à 17%, et celui des maisons en très mauvais état à 35%.
La qualité exceptionnelle du patrimoine architectural de la ville auquel il faut associer les pratiques familiales et/ou rituelles ont conforté les autorités politico-administratives (Mairie de Porto-Novo), de même que des institutions comme l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA), de la nécessité de sauvegarder le périmètre historique de Porto-Novo. Cette nécessité s’est très vite transformée en priorité face aux altérations et destructions subies par ce patrimoine culturel du fait des hommes et de l’usure du temps. Cependant, les opérations pilotes de restauration et de réhabilitation se sont révélées difficiles suite à la non maîtrise des techniques de construction liées à l’architecture afro-brésilienne et coloniale. Cette prise de conscience de la disparition proche des savoir-faire liés aux constructions anciennes a instruit la Municipalité de Porto-Novo et l’Ecole du Patrimoine Africain de la nécessité de redécouvrir et de se réapproprier les métiers liés au patrimoine. C’est ce qui justifie le bien fondé de ce programme de formation.

Par ailleurs, la ville de Porto-Novo s’est beaucoup rapprochée du Brésil grâce à son ambassade nouvellement créée à Cotonou, et à travers les différentes activités menées par la Maison du Patrimoine et du Tourisme. Au nombre de ces activités : expositions, enseignement de la langue portugaise à la Maison du Patrimoine et du Tourisme tous les mercredis, projections de films et documentaires brésiliens

Description du projet

Le projet porte sur le montage et la mise en place d’une structure de formation aux métiers du patrimoine à Porto-Novo, ainsi que la formation technique et professionnelle dans le domaine de la restauration et de la conservation du patrimoine historique et culturel de la ville.
Il comprend cinq volets complémentaires, repartis en deux objectifs spécifiques, mis en œuvre conjointement par les trois partenaires : la survivance des savoir-faire au Brésil et mise en récit de la culture afro-brésilienne ; le montage de la structure de formation ; la mise en œuvre d’un premier cycle de formation des formateur ; la restauration d’un bâtiment pour servir de siège au centre de formation et la capitalisation du projet.

Objectif

Promotion de la valorisation, diffusion et reconstruction de l´ensemble culturel et historique afro-brésilien au Bénin à travers l´incitation à la restauration et à la conservation des biens mobiliers et immobiliers de Porto Novo avec l´objectif de générer de l´emploi, des revenus et des opportunités économiques.

Pour parvenir à cet objectif, un certains nombres d’actions doivent être menées. Parmi celles-ci nous avons la formation de jeunes béninois. Pour ce faire des formateurs brésiliens sont commis à cette tâche. Nous avons par exemple Alexandre Mascarenhas.

Zoom sur le formateur.

Alexandre Mascarenhas est brésilien de nationalité. Il est architecte-conservateur et restaurateur de patrimoine. Spécialiste en conservation des ornements des bâtiments historiques et d’architecture en terre, il dispense dans le cadre de ce projet de formation aux métiers du patrimoine les enseignements sur : dossier et projet de conservation et de restauration de bâtiments historiques (résidentiels ; religieux ; ruines ; fontaines et ponts) ; dessin et technique architectonique ; structure en terre de barre (pratique pisée, brique etc.) et la théorie de la conservation.

Maîtrisard de l’Université Fédérale Fluminense (UFF) à Niteroi de Rio de Janeiro (Brésil), dans le domaine de la conservation et de la restauration des stucs ornementaux et structuraux des bâtiments historiques, il capitalise assez d’expériences dans le secteur. Actuellement, il est au terme de son doctorat à l’Université Fédérale Minas Gerais et l’Université Technique de Lisbonne (Portugal) en conservation des sculptures en plâtre. Il travail sur des dossiers et des projets de conservation. Il coordonne et exécute également des travaux pratiques non seulement sur les chantiers mais aussi sur les bâtiments, les éléments meubles (sculptures, tableaux, peinture murale). Il est professeur à l’Institut Fédéral Minas Gerais du campus de Ouro Preto au Brésil où il se fait distingué par sa pédagogie de dispenser son savoir et savoir-faire. Auteur de plusieurs documents à caractères scientifiques et non, Alexandre fait montre d’une technicité sans égard dans la mise en œuvre des projets de restauration et de conservation du patrimoine bâti et non bâti.
Très dynamique, il constitue une référence dans ce domaine au Brésil et dans d’autres pays tels que l’Inde ; le Mali ; le Cuba ; le Portugal etc. où il a participé à des activités de restauration et de conservation de patrimoine.

Sa disponibilité ; son humilité et son ouverture d’esprit sont autant d’éléments qui déterminent sa personnalité dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, il suggère de réaliser aussi un zoom sur quelques un de ses apprenants du Bénin qui l’ont émerveillé pendant son séjour au Bénin.
Zoom sur quelques auditeurs.

Sidoine ADIGBONON, menuisier de formation est détenteur d’un Certificat d’Aptitudes Professionnelles en menuiserie. Tout en rendant grâce à Dieu pour être retenu parmi les bénéficiaires de cette formation, il rêve de continuer ces études à l’extérieur parce qu’il a découvert assez de nouvelles choses lors de ce premier module de formation. Pour lui cette formation est une opportunité qu’il faut absolument capitaliser en offrant dans ce domaine des services aux communautés de Porto-Novo et environs. Il n’a non plus manqué de souligner quelques problèmes liés au manque de matériels, éléments indispensables pour la mise en œuvre efficace et efficiente du projet. Son vœu est que les autres partenaires impliqués dans la mise en œuvre de ce projet prennent leurs responsabilités pour sa réussite.

Patrick KIKI, Ingénieur en Bâtiment et Travaux Publics, il n’a pas manqué de remercier l’Ambassadeur du Brésil près le Bénin et toute son équipe pour leur implication effective dans la mise en œuvre de ce projet. Comme tous les autres apprenants il suggère que les moyens nécessaires soient mis à la disposition de la Maison du Patrimoine et du Tourisme de la Ville de Porto-Novo afin de rendre la tâche facile aux auditeurs.
Odette AKIGBE a étudié la maçonnerie. Elle resset une joie immmense pour etre retenue pour suivre cette formation qui à coup sur va lui permettre d’acquérir de nouvelles connaissance. Elle n’a pas manqué aussi d’attirer notre attention sur le manque criard de matéirel adéquat pour suivre cette formation. Elle remercie le professeur pour sa disponibilité et sa pédagoigie. Que les objectifs assignés à ce projet soient atteints.

Hervé Espoir HONTONGNON est détenteur d’un Diplôme de technicien en Ouvrage de Bois en Bâtiment (OBB-Menuiserie). Il est animé de bons sentiments pour ce projet qui vient de prendre l’envol au Bénin. Son voeu de voir la formation se dérouler dans de très bonnes conditions l’obligue à faire les doélances suivantes : que les apprenants soient dotés d’instruments de travail convenable; que les autoritiés municipales de la ville de Porot-Novo finalisent le dossier du contrat de bail de la maison afro-brésilien qui doit abriter le centre de formation aux métiers du patrimoine afin que les formateurs et les apprenants ne soient plus pertubés par les propriétaires lors de leur exercice de terrain. Aussi, souhaitreait-il que la Mairie de Porto-Novo fasse une communication au niveau locale autour de ce projet et profite pour montrer aux propriétaires d’architecture afro-brésilienne les enjeux liés à ces richesses dont-ils sont dépositiares.

En salle.

Les cours ont commencé le lundi 03 décembre 2012 dans des conditions qui suscitent beaucoup d’interrogation sur les rôles et fonctions que devraient jouer les autorités locales dans les projets de développement. Bien que cette initiative soit locale et implique les responsables au plus haut sommet, les autorités de la Ville de Porto-Novo ne manifestent aucun intérêt pour la réussite de ce projet. Seuls la détermination et l’engagement de ces jeunes béninois, bénéficiaires de cette formation motivent les autres acteurs comme l’ambassade du Brésil et la Maison du Patrimoine et du Tourisme de la Ville de Porto-Novo à continuer à soutenir l’initiative.

Les activités théoriques qui se déroulent en salle sont suivies des visites de terrain qui sont non seulement des séances pratiques mais aussi et surtout de découvertes pour ces apprenants.
Ce projet aurait connu beaucoup de succès si la Mairie de Porto-Novo jouait au mieux sa partition en appuyant la Maison du Patrimoine et du Tourisme de cette même ville.

Des modules dispensés et à partir d’une approche participative mettaient les apprenants en de meilleure situation d’apprentissage. Malgré les maigres ressources disponibles, le projet se poursuit en espérant obtenir plus tard le soutien des élus locaux de cette ville bénéficiaire.
Par ailleurs des études comparatives de pratiques architecturales observées au Brésil et au Bénin se font dans le but de montrer aux auditeurs qu’il existe une similitude de savoir-faire et savoir-être entre les deux peuples. Les liens historiques et culturels entre ces deux nations datent de très longtemps. Et le présent projet s’inscrit dans le cadre de préserver cette relation historique qui contient beaucoup d’opportunités de développement que devrait saisir la municipalité de Porto-Novo.
Honneurs et mérites

D’aucuns pourraient dire que nous allons trop vite en besogne en accordant une reconnaissance de cette nature aux acteurs impliqués dans ce projet à cette phase de sa mise en œuvre. Mais pour nous c’est une manière de réconforter toute cette équipe qui travaille sans les moyens nécessaires. Honneurs donc à la coopération brésilienne en l’occurrence l’Ambassadeur du Brésil près le Bénin et toute son équipe ; au formateur Alexandre MASCARENHAS pour les qualités dont il a fait montre lors de ce premier module de formation. Egalement honneurs à Luiz Antonio Bernardo ; à Patrícia Pereira de Matos et à Márcia Sampaio du Brésil pour leur implication et détermination.

Nos mérites vont d’une part à l’endroit de ces jeunes qui ont compris l’enjeu et n’hésitent pas à donner le meilleur d’eux-mêmes pour la réussite de ce projet et d’autre part à l’endroit de toute l’équipe de la Maison du Patrimoine et du Tourisme de la Ville de Porto-Novo à savoir Didier HOUENOUDE ; Mourchid MOUBARACQ ; Fernand SENOU et Alfred G. KIKI pour leurs efforts et sacrifices quotidiens pour un aboutissement heureux de ce projet.

Nous sommes persuadés que d’autres acteurs tels que la Communauté urbaine de Lyon ainsi que le Maire de la Ville de Porto-Novo seront prochainement à l’honneur. Et seul le respect de leurs obligations et devoirs dans ce projet serait la clé de voute de ces mérites et honneurs.
rochkiki@yahoo.fr