Le Palais idéal du Facteur Cheval

13 June 2010

Tout ce que tu vois, passant,
Est l’oeuvre d’un paysan.
Ferdinand Cheval

A environ deux heures de Genève existe un lieu rare et magique. C’est à Hauterives dans la Drôme. Des tuiles romaines, quelques odeurs de lavande, un air plus doux, on sent que la Provence n’est pas très loin. Mais on n’y vient pas pour ce minuscule village-rue, comme il y en a des centaines en France avec leur église, leur mairie, leur monument aux morts (et il faudrait ajouter la poste qui, ici, prend une valeur toute particulière comme on le comprendra assez vite). On y vient pour pénétrer dans un lieu secret, blotti dans un jardin comme pour le protéger des regards indiscrets : le Palais idéal du Facteur Cheval.

Qui n’a pas fait des châteaux de sable dans son enfance ? Ferdinand Cheval (1836-1924), facteur de son état, construisit de ses propres mains pendant 33 ans (et 93 mille heures !) un château de pierres, celles ramassées dans la région lors de ses tournées.

Cheval était sans doute un original, certainement un rêveur. Un rêveur obstiné. Car pendant dix ans il rêva d’un palais idéal sans savoir comment il pourrait le réaliser puisqu’il n’avait aucune formation d’architecte ou de maçon (seulement de boulanger !). Et, un jour, raconte-t-il, “mon pied avait accroché un obstacle qui faillit me faire tomber”. C’est la “pierre d’achoppement”, celle qui donna le départ à cette construction inouïe qui se dresse aujourd’hui devant nos yeux. Cette pierre, qui ressemble à une rose des sables, le facteur l’a intégrée à son palais pour rendre hommage à ce moment d’inspiration quasi proustien.

33 ans de labeur sous les railleries de ses voisins, des kilomètres parcourus à la recherche des pierres grâce à sa fidèle brouette, conservée comme une relique, et un résultat qui dépasse l’imagination.
Aujourd’hui, le Facteur Cheval est devenu l’une des icônes de ce que l’on désigne comme l’Art brut, à savoir l’expression de créateurs souvent marginaux, voire psychotiques, et qui n’ont reçu aucune formation artistique. Lausanne possède un magnifique musée qui leur est consacré et où l’on trouvera notamment les oeuvres étonnantes des Suisses Aloïse et Wölfli. Or, ce qui frappe toujours dans l’Art brut, c’est que l’on a rarement affaire à des productions que l’on pourrait qualifier de “délirantes”. Au contraire, il y a souvent un sens de l’ordre, de la règle, presque obsessionnel. Rien de plus vrai dans le cas du Palais idéal qui, malgré son décor surchargé et baroque, où se côtoient et s’entremêlent quantité de figures humaines et animales, présente une structure parfaitement réfléchie avec ses quatre façades, clairement désignées dans la pierre, et tout un programme iconographique savamment orchestré.

Bien sûr, le temple hindou, le monument égyptien, la façade des géants, la mosquée, ne sont pas sortis de la seule imagination du facteur. Les gravures d’époque, les premières cartes postales, l’ont nourrie, pour nous offrir, au final cet extraordinaire Angkor Vat du pauvre qu’on dirait revisité par un élève de Gaudi.

Au Palais, il y a à voir et à déchiffrer. La construction est partout recouverte d’inscriptions qui sont autant de maximes prêchant à la fois la valeur du travail et celle du rêve, la fraternité et la tolérance. Maximes connues ou inventées par le poète Cheval, elles permettent de donner tout son sens à ce palais qui n’est pas seulement l’oeuvre d’un original, mais celle d’un véritable humaniste.

En voici quelques exemples :

“Sous la garde des géants / J’ai placé l’épopée des humbles,/ Courbés sous le sillon.”

“La vie est un océan plein de tempêtes / Entre l’enfant qui vient de naître / Et le vieillard qui va disparaître.”

“Les fées de l’Orient viennent fraterniser avec l’Occident”.

Le facteur Cheval a gagné son combat. Même s’il n’est pas enterré comme un pharaon sous les trois géants de son palais mais au cimetière du village à un kilomètre de là (un monument extravagant tout de même qui est également son oeuvre), il est aujourd’hui reconnu et célébré. Salué par Breton et les surréalistes, admiré par Picasso, le Palais du Facteur Cheval a été classé monument historique en 1969 par André Malraux. Une inscription prémonitoire prévoyait cette reconnaissance et cette fascination: “Ce rocher dira un jour bien des choses”.

Une sculpture du facteur poussant sa brouette marque l’entrée du village; son buste orne la place de la poste avec sa magnifique façade de pierres apparentes; il est aussi partout reproduit sur les objets souvenirs des boutiques qui jalonnent le petit chemin qui conduit au palais. Ferdinand Cheval a réussi.

Son “rocher” accueille près de 130’000 visiteurs par an (dont 50’000 en été) et l’on y organise des festivals de jazz et des soirées à thème. Il fait aussi bien le bonheur des enfants que des adultes, des rêveurs et des intellectuels. C’est une étape idéale sur le chemin du Midi, et l’on peut se loger et se restaurer très agréablement au charmant petit hôtel “Le Relais”.
Finalement, une visite du Palais idéal est une magnifique leçon d’énergie, de volonté, la preuve que, comme l’a inscrit le Facteur Cheval dans la pierre de son château, il existe des lieux “où le songe devient la réalité”.

Jean-Michel Wissmer

Le Palais idéal du Facteur Cheval se situe à Hauterives dans la Drôme à mi-chemin entre Lyon, Grenoble et Valence. Il est ouvert toute l’année.
Téléphone (depuis la Suisse) : 0033 475 68 81 19.
Site : www.facteurcheval.com