En août dernier, la Côte d’Ivoire a été frappée par un certain nombre d’attaques, dont une sur le camp militaire d’Akouédo. Au cours de cette attaque, les assaillants se sont emparés d’armes et de munitions, ainsi que des nouveaux uniformes censés différencier les nouvelles forces de sécurité. Qui cherche à déstabiliser le pays et pourquoi ? C’est la question que nous avons posée à Youssouf Bamba, l’ambassadeur de Cote d’Ivoire auprès de l’ONU.

22 September 2012

Q : La sécurité reste un problème majeur en Côte d’Ivoire. Le programme de Désarmement, Démobilisation, Réintégration, (DDR) mis en place par l’ONUCI n’a apparemment pas fonctionné et le gouvernement ivoirien a préféré agir. Qu’en est-il?

R : Je voudrais quand même préciser que lorsque vous dites que « le programme mis en place par l’ONUCI n’a rien donné », il convient d’être un peu plus « mitigé » Le DDR, c’est un processus qui prend du temps. Des choses ont été réalisées : les ex-combattants ont été identifiés et il y a eu plusieurs regroupements. Beaucoup reste à faire, nous le concédons. Le DDR et la RSS (Réforme du Secteur de sécurité), font partie d’un ensemble. Le gouvernement a défini cette politique de réforme du secteur de sécurité et le DDR Depuis le 6 avril, le Président de la république a créé ce qu’on appelle le groupe de travail de la réforme du secteur de sécurité. Ce groupe de travail réfléchit à la mise en place d’une politique nationale de réformes du secteur de sécurité, et essaie de trouver une réponse définitive au problème du DDR. Ce groupe de travail a rendu sa conclusion, fin juillet je crois, qui doit être formalisée par les textes institutionnels. Lorsque la Côte d’Ivoire présentera ses programmes, le Comité International et les partenaires, nous accompagnerons dans la mise en œuvre des différentes déclinaisons du programme. L’ONUCI, dans le cadre de son mandat, n’a pas la primauté dans la mise en œuvre du DDR/RSS. Elle a un rôle d’accompagnement et elle le fait efficacement. Je tenais à donner ces précisions, avant que nous abordions d’autres sujets.

Q : La tentative de déstabilisation du mois dernier n’augure rien de bon pour le pays. Le Conseil de sécurité s’est déclaré préoccupé par l’insécurité persistante. Au vu des derniers événements, doit-on s’en inquiéter ?

R : Dans toutes les réunions qui se sont tenues, notamment à l’occasion du renouvellement du mandat de l’ONUCI, le Conseil de sécurité a exprimé son inquiétude. Il a toutefois reconnu que des progrès avaient été faits au plan de la sécurité, particulièrement dans la ville d’Abidjan. Mais c’est toujours la situation dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire qui reste préoccupante pour les raisons que nous connaissons : présence de miliciens et de mercenaires ; difficultés du terrain et circulation d’armes légères. Le phénomène nouveau, ce sont les attaques qui ont eu lieu à Abidjan, Akouédo ainsi que les incidents intercommunautaires dans le camp de refugiés. Tous ces événements bien entendu, sont à mettre sur le compte des « spoilers », de ceux qui se sont livrés à des tentatives de déstabilisation. Comme vous le savez, un ancien ministre du régime Gbagbo a été reconnu et arrêté. Il est impliqué dans des actions tendant à déstabiliser le régime. Les faits sont accablants. Le Président de la république a pris la pleine mesure de ces événements. Le gouvernement est proactif et les dispositions conservatoires provisoires ont été prises en attendant des dispositions beaucoup plus structurées.

Q : Qu’appelez-vous des mesures conservatoires provisoires ?

R : Des mesures de contrôle. Des mesures qui renforcent la vigilance parce qu’il y a eu une certaine « baisse de la garde » qui a permis ces attaques. Nous recherchons la normalité. Nous ne voulons pas voir des policiers ou des militaires à tous les carrefours. Ce que je voulais dire, c’est que ceux qui ont voulu déstabiliser le pays ont profité de la situation pour pouvoir perpétrer ces attaques contre les objectifs que vous connaissez.

Q : D’après mes informations, les services de renseignements ivoiriens avaient été informés des attaques en préparation un peu avant que le camp d’Adouédo ait été pris pour cible. Or la menace n’a pas été prise au sérieux par les autorités responsables de la sécurité, ce qui a permis et permet toujours aux pro-Gbagbo de continuer à infiltrer l’armée. Pourriez-vous commenter ?

R : Non, je préfère ne pas commenter. Le sujet, vous le comprendrez, est sensible, mais comme je vous l’ai dit, nous sommes en pleine restructuration. La réforme du secteur de sécurité est un long processus et évidemment le secteur renseignements est un des éléments clé de cette réforme qui va permettre, avec la restructuration de l’armée, d’avoir une armée qui aura un nouveau visage. Une armée républicaine, qui sera le reflet de la réunification de la Côte d’Ivoire. Je ne suis pas un expert, c’est pourquoi je ne commenterai pas. Pour ne pas gêner ou interférer avec les actions en cours qui, vous le savez, participent à notre sécurité.

Q : Les droits de l’homme ne sont pas respectés : les FRCI continuent de se livrer à des exactions ? Le président Ouattara avait prôné la réconciliation et le changement. Au vu de ce qui se passe actuellement, affirmeriez-vous que le résultat reste à la hauteur des espérances des ivoiriens ?

R : Les attentes il est vrai, sont nombreuses sur beaucoup de plan. Cependant au plan économique, il y a des résultats probants. Le taux de croissance cette année est de 8%. Des travaux d’infrastructure sont en cours. Une centrale thermique et le troisième pont sont en construction. Les chantiers routiers sont nombreux –l’autoroute a débuté. Abidjan a été rénovée, et on s’attaque maintenant à l’intérieur du pays également. Par conséquent on ne peut pas dire que rien n’est fait. Au plan de l’agriculture, la réforme de la filière café-cacao a été faite et nous allons la tester lors de la campagne qui débutera en octobre. Au plan de la production alimentaire, les récoltes sont bonnes. On ne peut pas atteindre tous les objectifs d’un seul coup. J’arrive à votre question sur les droits de l’homme, mais je voulais parler de ces préalables, parce que les gens existent, et que ce qui les intéressent, ce sont l’économie, la nourriture, les besoins de bases. L’université a été rénovée, la rentrée universitaire a eu lieu et vous savez, l’université d’avant, c’était une zone de non-droit. Aujourd’hui, c’est devenu une université modèle qui offre des infrastructures modernes. Voici des réalisations positives dont on ne parle pas. Pour ce qui concerne les droits de l’homme, là encore, sachez que le Président Ouattara a hérité d’un pouvoir où pendant les dix années précédentes, c’était le règne du non droit. Le règne de l’impunité. Il y a des problèmes qu’on ne peut pas résoudre d’un simple claquement de doigts, qui ne se résolvent pas «over night », comme disent les anglais. Il y a un vrai besoin de formation, d’éducation, de sensibilisation des forces de l’ordre. La volonté du Président de créer l’état de droit, de faire de la réalité des droits de l’homme une constante dans la vie des ivoiriens, je le confirme. Et je le reconfirme ici, le Président Ouattara est pour la tolérance zéro et contre la culture de l’impunité. Tout auteur de violations des droits de l’homme de quelque camp qu’il se situe, sera sanctionné. C’est un engagement formel. L’agenda des ministères des droits de l’homme et des libertés publiques est clair : formation, sensibilisation, éducation tous azimuts. Les droits de l’homme sont une obligation, une nécessité, encore faut-il former les gens, à commencer par les forces de l’ordre. Il faut être un peu patient. La guerre est terminée et celui qui fera justice lui-même sera sous le coup de la loi. Le droit humanitaire international, les droits des refugiés doivent être respectés et j’enchaine pour dire que la Côte d’Ivoire a pu bénéficier de l’assistance de la Communauté internationale au titre des droits de l’homme. Au plan international, nous sommes solidaires de toutes les actions qui tendent à renforcer les droits de l’homme, notamment en Syrie, où nous étions Co-sponsor d’un projet de résolution votée par l’Assemblée générale, qui condamne les exactions et les massacres des civils.

Q : Simone Gbagbo n’est toujours pas jugée. Qu’en est-il ?

R : L’instruction suit son cours. Le cas est complexe. La commission nationale d’enquête a rendu ses conclusions qui doivent être versées au dossier pour permettre de documenter l’instruction. La justice doit faire son travail.

Q : Diriez-vous que les troubles qui se sont produits en Côte d’Ivoire étaient des soubresauts et non une généralité qui viserait à s’installer durablement

R : Les derniers événements sont des soubresauts. Des spoilers sont à l’affut et les barons de l’ancien régime, qui sont en exil au Ghana, nous les connaissons bien. D’ailleurs, nous avons demandé l’extradition d’un des ténors qui s’est illustré récemment dans une entreprise de déstabilisation. Ces spoilers ont des velléités, mais ils ne passeront pas. Nous avons les moyens de les en dissuader, et nous ferons tout pour leur barrer la route. Les ivoiriens sont fatigués de la guerre, fatigués des troubles. Ils veulent la quiétude. Ils veulent avoir la chance de développer leur pays et de participer à sa construction. Ils veulent surtout et avant tout participer à la réconciliation nationale. Ces velléités de déstabilisation qui n’ont pas abouties ont été négatives parce qu’elles ont freiné la réconciliation que tous les ivoiriens appellent de leur vœux, et qui est un besoin réel. Ils veulent tourner la page et écrire une nouvelle page faite de promesses et d’espoir.

Le 20 septembre, soit dix jours après notre interview et un mois et demi après les assauts qui ont fait des morts dans les rangs des forces républicaines, un commissariat de police et un poste de gendarmerie étaient attaqués par des hommes armés. Un dernier soubresaut sans doute.

Célhia de Lavarène, Nations Unies, New York, Septembre 2012