J’ai choisi le bonheur

27 February 2021

Interview de Dr Noha Baz, pédiatre, écrivaine, gastronome…

Dans la vie on croise beaucoup de personnes, certains laissent des traces et de bons souvenirs ou même vous encouragent à voir la vie du bon côté. Noha Baz fait partie de ces personnes. Sa passion d’aider les autres, que cela soit par son travail de pédiatre, l’association qu’elle a créée en 1997 ou simplement la phrase," j’ai choisi le bonheur", fait qu’on a envie d’en apprendre plus sur son travail et sa philosophie. Nous avons eu de la chance de recroiser le Dr Baz, il y a peu de temps, et de lui poser quelques questions …

Q : Vous êtes une femme de multi-talents et une pédiatre de renom, pourquoi avez-vous créé votre association ?

J’ai créé mon association « Les Petits Soleils. » En 1997 à Beyrouth pour concrétiser un rêve que je portais en moi depuis le jour où, à l’âge de onze ans, j’avais décidé de devenir médecin.

Nous vivions au Liban dans les balbutiements d’une guerre civile qui devait durer plus de vingt ans et je constatais déjà dans le pays beaucoup de disparités et de misère sociale. J’ai donc choisi un métier qui pouvait venir en aide à beaucoup de personnes en soulageant une des formes de la misère : le manque de moyens pour accéder à des soins de santé de qualité. Une façon d’apporter ma petite goutte d’eau pour faire de ce monde un lieu plus accueillant et plus juste. Idéaliste comme on peut l’être à l’adolescence ... avec la volonté d‘y arriver coûte que coûte. Je crois que lorsqu’il y a une volonté il y a un chemin. J’ai donc tout fait pour rendre cela possible vingt-trois ans aujourd’hui qu’avec de la persévérance et l’aide de beaucoup de personnes bienveillantes nous arrivons à faire sourire tous les jours des dizaines d’enfants et soulager autant de familles.

Q : Pourriez-vous nous parler plus en détail de votre association ?

L’association les petits soleils offre une assistance médicale quotidienne à tous les enfants vivants sur le sol libanais sans aucune distinction d’appartenance ethnique ou religieuse. Nous accueillons en priorité des petits libanais venant des quatre coins du pays qui souffrent terriblement aujourd’hui de la double crise économique et sociale qui a frappé le Liban depuis septembre 2019. Beaucoup de pères de famille se sont depuis retrouvés au chômage sans aucune compensation et sans aucune couverture sanitaire ou sociale, la crise sanitaire n’a fait qu’empirer les choses. Nous accueillons de tout cœur également les enfants de travailleurs étrangers et de familles de réfugiés totalement démunis n’ayant droit à rien et qui vivent dans des conditions lamentables.
Tout est difficile aujourd’hui au Liban. Le quotidien, où il faut acheter citernes d’eau et électricité fournie par des moteurs privés. Depuis la crise économique, l’état est incapable d’assurer les subventions nécessaires pour assurer l’importation de médicaments à la fois pour les traitements de malades chroniques et pour les médicaments simples comme pour le paracétamol. Nous avons mis donc en place depuis un pont aérien qui apporte tous les mois laits de croissance et plein de médicaments.

Pour en revenir à l’association j’ai mobilisé, en fondant l’association, quarante-cinq médecins, toutes spécialités confondues, ainsi que des psychologues, des physiothérapeutes, des orthophonistes, des éducateurs spécialisés pour la psychomotricité. Nous assurons de cette façon la prise en charge en urgence et au long cours, des soins de santé, du suivi vaccinal de l’ardoise en charge d’interventions de chirurgie générale, d’urologie, d’otorhino laryngologie d’ophtalmologie et d’orthopédie.

Nous fournissons prothèses implants et matériel orthopédique lorsque cela est nécessaire ainsi que le suivi souvent sur de très nombreuses années. Voir ces enfants grandir et sourire est le plus beau des cadeaux au quotidien !

Q : Le Liban a traversé une épreuve après l’autre depuis bientôt 40 ans. Comment est la situation actuelle ?

Le Liban est une mosaïque unique, mais compliquée. Un équilibre fragile avait réussi à s’installer jusqu’au soulèvement populaire de septembre 2019 dû à l’effondrement de la monnaie libanaise indexée au dollar et une inflation incroyable qui a multiplié les prix de la vie quotidienne par dix. Il y’a encore un an un franc suisse c’était 1500 livres libanaises aujourd’hui un franc suisse vaut 8500 LL. Il y a un an pour avoir 100 euros il fallait débourser 200000 livres libanaises aujourd’hui il faut un million deux cent mille livres. La crise sanitaire a fait des ravages les hôpitaux publics étaient sous équipés. Heureusement, une campagne de vaccination offerte par l’Organisation mondiale de la Santé est en train de redonner un peu d’espoir, mais la pauvreté est partout! 65 % de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté.

La société civile prend le relais de l’état sur tous les plans. Depuis l’explosion du 4 août qui a fait en quinze secondes plus de dégâts qu’en quinze ans de guerre civile, ce sont les jeunes encadrés par des ONG qui font le travail sur le terrain.
Avec les petits soleils nous avons même été amenés à remettre des enveloppes mensuelles pour permette à 180 familles de survivre c’est du lourd !

Q : Les enfants que vous aidez à travers votre association, comment les trouvez- vous ?

Ce sont eux qui nous trouvent ! Les antennes d’assistance sociale réparties sur le territoire nous adressent les enfants démunis et leurs familles.
Les médecins sentinelles dans tous les hôpitaux du pays nous appellent dès qu’ils reçoivent un enfant sans couverture sanitaire ou sociale et nécessitant des soins urgents. L’association grâce aux médias qui ont avec intelligence su mettre nos actions en lumière ont permis à l’information de circuler et à nos soleils de se multiplier.

Q : Vous écrivez aussi des livres. Qu’est-ce que cela vous apporte que d’écrire, et comment trouvez- vous le temps pour le faire ?

L’aventure de l’écriture qui est devenue aujourd’hui quasiment un deuxième métier est née certainement de ma passion pour la lecture. Les livres m’ont toujours accompagnée depuis que je suis enfant et ont été un rempart contre l’imbécilité de la guerre. Ils sont pour moi une partie avec de murs solides et bienfaisants.
J’écris sur mes téléphones partout dans les trains les avions en voiture. Tous mes livres sont destinés à « faire vivre. » Mes droits d’auteur nourrissent l’association une façon de plus d’aider.

J’ai organisé au fil des années et de très nombreux événements gastronomiques dîners de gala, etc. ... pour lever des fonds pour l’association. Un dîner c’est agréable aussi, mais un livre est un objet que l’on peut savourer, relire, reproduire les recettes. Et donc s’il peut en plus apporter de la joie et apaisée des souffrances alors c’est encore plus motivant à écrire !

Q : Dans votre livre autobiographique, vous dites, « J’ai choisi le bonheur. » Qu’est-ce que c’est que de choisir le bonheur, surtout si on a, comme vous, vu tellement de choses tristes au cours de votre carrière ? Quel est votre secret ?
Pourquoi choisir le bonheur ?

Parce qu’au détours d’une guerre civile, vous apprenez percevoir l’essentiel, dans l’urgence de vivre pour donner du bonheur autour de soi, il faut commencer par essayer d’être heureux. Ne serait-ce que pour donner l’exemple comme disait Jacques Prévert : "quelle vie est exempte de chagrins et de moments de tristesse et de désespoir ?" Tout le monde a été confronté un jour avec bien sûr une intensité différente à des chagrins. J’ai choisi de regarder la vie du côté heureux parce que le bonheur se multiplie lorsqu’on le partage. C’est un exercice quotidien et un regard sur le monde. Dans le flot d’horreurs déversé par les informations quotidiennes, je vais essayer de trouver malgré, tout de quoi sourire. J’ai peut-être gardé de mon enfance cette capacité d’émerveillement et je trouve dans les petites choses de tous les jours, de quoi m’apaiser et me faire sourire pour aider les autres à le faire. Une belle page de lecture un joli morceau de musique, un sourire et un mot gentil que j’adresse sincèrement à quelqu’un la cuisine m’apaise. On dit souvent que c’est de l’amour et c’est vrai ! Préparer un Plat ou un gâteau pour quelqu’un me remplit de joie. Me plonger dans un marché rempli de senteurs d’épices et de fleurs également.

À chacun de trouver ce qui lui fait plaisir, d’éteindre la télé ou les radios et de trouver une harmonie. Se tourner un peu plus vers les autres aussi la solidarité fait du bien pas seulement à celui qui en bénéficie, mais également à celui qui la donne. Croyez-moi, ceux qui ne donnent rien ne savent pas ce qu’ils perdent.

Et puis pour conclure, je vais vous citer Voltaire et sa phrase culte « j’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ! »

Q : Lorsqu’on pense à votre engagement pour les enfants au Liban, on a le cœur lourd, et on se demande comment on peut vous aider. Auriez-vous quelques suggestions?

Vous pouvez m’aider de mille façons. Vous m’aidez déjà en parlant de l’association!
Je remercie d’ailleurs beaucoup de personnes merveilleuses en Suisse qui par leur dynamisme et leur activité autour du livre ont fait connaître l’association. Julie Vasa et toutes les dames du festival du lac de Collonges Bellerive.

Alain Bittar et l’ICAM qui a organisé une très belle rencontre autour de mes livres pour aider l’association. Le journal le Temps, et Richard WERLY qui y a écrit à cette occasion un très bel article.

Et puis vous Marit si bienveillante et si élégante en mettant l’accent sur le travail de l’association à travers cette interview.

La vie fait parfois aussi des cadeaux Rencontres avec des personnes formidables.
Vous en faites partie !:)

Q : D’où vient votre passion pour la gastronomie ?

Mon intérêt pour la gastronomie a été dicté par ma gourmandise d’abord puis par ma curiosité.

J’ai choisi de suivre les hautes études du goût et de la gastronomie à l’université de Reims en France vingt ans après la fin de ma formation de pédiatre je revenais à la fac ! Cette formation exigeait un cursus d’une année de cours puis un examen écrit dont la réussite permettait la présentation d’une thèse indissociable de l’obtention du diplôme.

Nous étions 25 inscrits j’étais la seule libanaise .a l’issue de l’examen écrit nous sommes restés quinze et au final cinq seulement ont pu obtenir le diplôme. J’en faisais partie.

J’avais choisi comme sujet de thèse : la transmission du goût aux enfants ... suite logique de mon métier de pédiatre où je rencontrais à chaque consultation des parents très concernés par l’alimentation.
Je suis moi même fan de la phrase d’Hippocrate : que ta nourriture soit ta première médecine.

J’ai donc juste appliqué cette idée et démontré à travers ma thèse qu’en donnant depuis le berceau une méthode d’alimentation saine à un enfant on pouvait lui offrir une clé de nutrition juste pour la vie.

La suite est simple ma thèse a reçu un prix et le jury m’a encouragé à publier, ce premier livre très simple quasiment artisanal appelé un petit soleil dans votre cuisine m’a permis après avoir été réimprimé cinq fois d’appareiller deux enfants sourds de naissance.

J’ai été contactée ensuite par les éditions Alisio (Albin Michel) pour écrire il n’y a pas de honte à préférer le bonheur qui raconte l’aventure des petits soleils. Ce livre j’ai voulu puisqu’il s’agit d’une autobiographie le faire de façon amusante avec un abécédaire chronologique facile à lire avec des petits chapitres agréables à lire qui racontent le Liban, mais aussi la France et la Suisse , la gastronomie , l’adolescence pendant la guerre .... Ma philosophie de la vie..

Q : Vous avez également créé un prix littéraire, Ziryab. Comment est venue cette idée ?

L’idée du prix Ziryab m’est venue au décours d’une table ronde organisée au Salon du livre de Beyrouth. J’y parlais de gastronomie Culture témoin de civilisations. C’était début novembre, date habituelle de l’annonce des prix littéraires en France et du coup je me suis dit que faire de la place à un prix littéraire qui récompenserait un livre francophone gastronomique était une belle idée. Un pont culturel entre l’Orient et l’Occident j’ai toujours préféré bâtir des ponts plutôt que des murs...
J’ai baptisé le prix Ziryab par affection pour Farouk Mardam Bey auteur du magnifique ouvrage la cuisine de Ziryab .livre que j’ai du relire une dizaine de fois et qui est un véritable voyage à travers la culture culinaire arabe . .. une merveille !
C’était en 2013.
Nous en sommes à la huitième édition avec un jury éclairé que j’ai choisi au fur et à mesure des années.
Nous avons trois réunions annuelles de réflexion autour d’ouvrages choisis qui racontent une histoire de traditions et de transmissions gastronomiques. Nous choisissions les livres suivant ces critères et pas seulement de simples livres de recettes... le prix est remis à Beyrouth dans le cadre du Salon du livre francophone et c’est un régal annuel puisqu’il se clôture par un repas de gala au musée Mim des minéraux de Beyrouth.

Dr Noha Baz
Pédiatrie
Génétique clinique
Membre de la société française de Pédiatrie
Membre de la société de pneumologie et d'allergologie pédiatrique Sp2A
Paris V -Necker
Fondatrice de l’association ‘’Les Petits Soleils’’;
Diplômée des hautes études du goût et de la gastronomie de l’université de Reims (Duggat 2009)