Les lumières qui venaient du froid
Avant l’arrivée des chaleurs estivales, jusque 25 mai 2025 la célèbre Fondation Beyeler à Bâle offre une surprenante gorgée d’air frais. « Northern Lights », une exposition originale, nordique et lumineuse, le must absolu à visiter dans la cité rhénane entre le Concours Eurovision de la chanson et Art Basel.
Texte : Yury Obozny
La Fondation Beyeler qui occupe à Riehen, près de Bâle, un élégant bâtiment conçu par Renzo Piano dans le cadre idyllique d’un parc aux arbres vénérables et aux bassins de nymphéas, est réputée à l’échelle mondiale pour ses expositions de grande qualité. Classée comme le musée d’art le plus visité de Suisse, elle est abonnée à tous les superlatifs depuis fort longtemps.
Pour ne pas citer que la dimension nordique, largement méconnue sous nos cieux, en 2007 la Fondation avait organisé la plus grande exposition jamais consacrée à Edvard Munch en dehors de Norvège. En 2025 elle réunit pour la première fois en Europe quelque 70 peintures de paysage du Nord réalisées entre 1880 et 1930 par des artistes de Scandinavie, de Finlande, de Russie et du Canada.
Parmi les chefs-d’œuvres exposées à Bâle on notera celles de la Suédoise Hilma af Klint, du Norvégien Edvard Munch et même d’un Russe, Ivan Chichkine. Ce dernier dans les années 1860 avait fait une partie de ses études à Zurich, chez Rudolf Koller, et s’était intéressé aux travaux d’Alexandre Calame et François Diday, les incontournables paysagistes-vedettes genevois de l’époque.
Helmi Biese, Anna Boberg, Emily Carr, Prince Eugen, Gustaf Fjæstad, Akseli Gallen-Kallela, Lawren S. Harris, Hilma af Klint, J. E. H. MacDonald, Edvard Munch, Ivan Chichkine, Harald Sohlberg et Tom Thomson.
Ces 13 artistes (certains d’entre eux sont célébrés comme des héroïnes et des héros nationaux dans leurs pays d’origine) partagent comme source d’inspiration la nature du Nord, en particulier sa forêt et sa lumière.
Ces forêts s’étendant à perte de vue et cette lumière rayonnante des jours d’été sans fin, mais aussi des aurores boréales, «Northern Lights », ont engendré une peinture moderne spécifiquement nordique. Cette peinture est vraiment très différente tant des paysages italiens, chauds et ensoleillés, que de la neige et du froid des montagnes suisses, auxquels des spectateurs sont certainement plus habitués.
La forêt boréale, également connue sous le nom de taïga, est la plus grande forêt primaire de la planète qui s’étend au sud et au nord du cercle polaire, recouvrant en grande partie la Scandinavie, la Finlande, la Russie et le Canada. La forêt de conifères boréale joue ainsi un rôle dominant dans presque tous les tableaux de l’exposition. Seuls Anna Boberg et, dans ses oeuvres plus tardives, Lawren S. Harris ont peint des paysages au nord de la limite des arbres, dans ce qu’on nomme la toundra, voire même dans les glaces éternelles de l’Arctique.
L’eau est un autre élément marquant de ces paysages intenses du Nord : dans les tableaux, les innombrables lacs et fjords offrent souvent un contrepoids horizontal à la verticalité des arbres de la forêt et, comme surtout dans les oeuvres de Helmi Biese et d’Akseli Gallen-Kallela, ils rendent visible le vent qui modifie sans cesse la
surface de l’eau.
Outre la neige, qui définit, sans surprise, l’apparence du paysage de fin octobre jusqu’en avril, la lumière constitue un autre motif récurrent : les aurores polaires mystiques qui zèbrent le ciel de couleurs vives, la clarté des jours d’été pendant lesquels il ne fait jamais complètement sombre, le solstice d’été, et en hiver
les ténèbres des nuits sans fin. Pour les artistes, ces phénomènes naturels ne se réduisent pas à des motifs picturaux mais constituent de véritables forces vives, exerçant une influence majeure sur leur travail.
Dans leurs oeuvres, ils ne cherchent pas simplement à capturer ce qu’ils·elles ont vu, mais également à donner forme à leurs expériences émotionnelles, dans des images qui nous entraînent dans les vastes étendues de la forêt boréale et nous invitent à réfléchir à la relation entre l’être humain et la nature.
Encadré
Certainement, le hasard du calendrier fait bien des choses. Toujours au mois de mai 2025 Bâle accueille le Concours Eurovision de la chanson (ESC) que la Fondation Beyeler fête également et même propose du 9 au 18 mai un tarif d’entrée réduit à cette occasion. Voilà une idée saugrenue, à première vue. C’est vrai qu’un seul artiste des « Nothern Lights », le Canadien Lawren S. Harris (décédé en 1970) a vécu au début de l’ère de l’Eurovision. Mais, après tout, ce sont bien des pays nordiques, notamment la Suède, qui détiennent tous les records d’ESC. Quant au Canada, c’est la Québécoise Céline Dion qui a remporté le concours pour la Suisse en 1988.
Northern Lights / Lumières du Nord
26 janvier – 25 mai 2025, www.beyeler.ch